Repiquer sa récolte, est-ce condamnable?

Les agriculteurs ont-ils le droit de re-semer leur récolte, de reproduire des semences de ferme? Ou doivent-ils être considérés, au regard de la loi, comme des contrefacteurs, passibles de sanctions pénales? La question a été dernièrement abordée au Sénat, dans le cadre du projet de loi n°9 (2007-2008) de lutte contre la contrefaçon, qui vise à renforcer les procédures de lutte contre les atteintes à la propriété intellectuelle. Cette épineuse question a finalement été renvoyée à l’Assemblée nationale (laquelle avait adopté le projet en première lecture le 2 octobre dernier) qui aura à la clarifier, dans le cadre du projet de loi sur les obtentions végétales. La navette continue.

Epineuse question et qui a la vie dure. Elle dure au moins depuis 13 ans. C’est en effet par un règlement du Conseil n° 2100/94 datant du 27 juillet 1994, que l’Europe a institué un régime de protection communautaire des obtentions végétales (création de variétés). Mais pour tenir compte d’une pratique ancestrale, l’article 14 de ce réglement autorise une dérogation en faveur des semences de ferme, issues du tri d’une partie de la récolte précédente. Cette dérogation est limitée à une vingtaine d’espèces: celles-ci regroupent essentiellement des céréales (blé, avoine, orge, seigle, épeautre, riz…), des plantes fourragères (luzerne, lupin jaune, pois fourrager, pois chiche…), des plantes oléagineuses et à fibres (colza, lin oléagineux à l’exclusion du lin textile, navette) ainsi que les pommes de terre.

Force est de constater que l’affaire n’est pas réglée. On en discute encore. Le 17 octobre dernier, au Sénat, la commission présidée par Jean-Jacques Hyest, sur le rapport de M.Laurent Béteille, a examiné trois amendements n°s 1 rectifié, 3 et 4 rectifié identiques tendant à insérer un article additionnel avant l’article 20 du projet de loi de lutte contre la contrefaçon.

Après avoir indiqué que ces amendements tendaient à exclure du champ de la contrefaçon la reproduction par un agriculteur de semences de ferme pour les besoins de son exploitation agricole, et ce, quelle que soit l’origine de ces semences, M. Laurent Béteille, rapporteur, a fait valoir que, contrairement à la crainte exprimée par les auteurs de ces amendements, la suppression de la notion d’ « échelle commerciale » en matière d’obtentions végétales, opérée par le Sénat en première lecture, ne changeait pas la situation des agriculteurs, ceux-ci exerçant en tout état de cause une activité à l’« échelle commerciale », définie par la directive 2004/48 comme la recherche d’un « avantage économique ou commercial, direct ou indirect ».

Après avoir souligné la nécessité d’accorder une juste rémunération aux obtenteurs végétaux, et afin de soutenir l’effort de recherche agronomique, il a soutenu qu’il était loisible aux agriculteurs d’utiliser des variétés végétales tombées dans le domaine public. Il a rappelé qu’un projet de loi sur les obtentions végétales, modifiant le code de la propriété intellectuelle et le code rural, adopté par le Sénat en février 2006 et en attente d’examen par l’Assemblée nationale, constituait un support législatif plus adéquat que le présent projet de loi pour clarifier le cadre juridique applicable aux semences de ferme.

M. Philippe Arnaud a relevé qu’il était difficile, en pratique, de trouver des semences non protégées tout en soulignant que les semences reproduites, quelle que soit leur origine, ne présentaient pas les mêmes qualités que les semences utilisées la première fois, ce qui conduisait à une baisse sensible des rendements agricoles. Il a appuyé le droit des agriculteurs à l’autoproduction des semences.

Rejoignant l’analyse de M. Philippe Arnaud, M. Jean-Claude Peyronnet a jugé nécessaire de protéger la tradition ancestrale de l’autoproduction des semences et redouté que les propriétaires de jardins familiaux ne soient également assimilés à des contrefacteurs.

Le rapporteur a souligné que le projet de loi de lutte contre la contrefaçon ne modifiait pas le droit applicable aux semences de ferme et mis en avant la nécessité pour la France de respecter ses engagements internationaux, en particulier la Convention internationale pour les protections des obtentions végétales, ratifiée par notre pays en mars 2006 et le règlement CE 2100/94 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales.

Le président Jean-Jacques Hyest a déclaré que la conclusion récente d’un accord interprofessionnel pour le financement de la recherche variétale par tous les utilisateurs de semences de blé tendre attestait la possibilité de trouver un point d’équilibre entre la protection de la recherche agronomique et les droits des agriculteurs à l’autoproduction de semences. Il a souhaité que l’Assemblée nationale examine, dans les plus brefs délais, le projet de loi sur les obtentions végétales et y apporte, le cas échéant, des aménagements, en concertation avec tous les professionnels intéressés, dont le Sénat aurait à connaître lors de la poursuite de la navette.

En conséquence, la commission a décidé de demander le retrait des trois amendements.

Gilbert

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