Tchernobyl était contaminé avant la catastrophe

Le Professeur Youri Bandajevsky, médecin et anatomopathologiste, Recteur de l’Institut Gomel (Bélarus) de 1990 à 1999, était hier à Grenoble (1) pour exposer, 23 ans après la catastrophe (2), les résultats de ses travaux épidémiologiques et faire le point sur la situation actuelle. Pendant ces neuf années, dans cette zone très touchée par les retombées de Tchernobyl, le Professeur et son épouse, pédiatre et cardiologue,ont recueilli une quantité importante de données, « le plus objectivement possible » afin d’étudier de près les conséquences sanitaires de cette catastrophe.

Le Pr Youri Bandajevsky et son interprète, hier à Grenoble, en conférence de presse
« Je suis arrivé à Gomel en 1990 tant qu’organisateur du système de santé. Après la catastrophe, de nombreux médecins ont quitté la région. Il fallait former le personnel et les étudiants, adapter nos pratiques, créer nos propres instruments pour le traitement des malades, organiser les études. En 9 ans, près de 1000 personnes sont sorties de l’université avec un diplôme en poche ».
C’est au moins une réelle satisfaction pour le Professeur, au même titre que  la mise au jour d’une relation quantifiable entre la dose de radioactivité mesurée dans l’organisme et la gravité des symptômes.
Le constat qu’il fait aujourd’hui est plus qu’inquiétant :
« L’augmentation constante des pathologies a conduit à une situation proche de la catastrophe démographique : le taux de mortalité est presque le double du taux de natalité. Il existe des statistqiues officielles qui vont dans le sens d’une disparition du peuple bélarus d’ici une dizaine d’années. Voilà pourquoi je me bats. Pour renverser cette situation. Pour que vive le peuple bélarus ».

Le Pr Bandajevsky montrant les tableaux et cartes du livre faisant le bilan de la sitiuation sanitaire dans les années 60 en Ukraine: la contamination radioactive était déjà à l’oeuvre

Depuis les années 60

Un peuple dont la santé est mise à mal depuis plus longtemps qu’on ne le suppose. On apprend en effet à l’écoute du Pr Bandajevsky cette information rarement voire jamais reprise, à savoir que la contamination radioactive existait déjà dans la région de Tchernobyl plus de 20 ans avant la catastrophe : « Des doses de Cesium 137 ont été absorbées à partir de 1964 et au moins jusqu’en 1969 », explique le Professeur. « C’est de cette époque que la courbe de natalité a commencé à chuter sensiblement. Il existe un ouvrage, mystérieusement disparu des bibliothèques -mais que l’on peut trouver en cherchant bien chez les bouquinistes- qui rend compte de l’état de la situation sanitaire dans ces années-là. Il y est notamment mentionné que des mesures immédiates s’imposent pour préserver la santé de la population ».
Cette contamination radioactive, à cette époque, serait due pas tant à la centrale qu’ aux retombées d’ essais nucléaires qui n’ont jamais été officiellement reconnus.

En 1999, au moment où beaucoup, en Ukraine et au Bélarus, aimeraient voir se tourner la page noire de Tchernobyl, le Pr Bandajevsky rend publics ses travaux. Ca jette un froid. Et lorsqu’il se permet de critiquer, en tant qu’expert, l’usage que font les autorités bélarusses des fonds internationaux destinés à venir en aide aux victimes, c’est de gel qu’il faut parler. Il est arrêté le 13 juillet 1999, jugé par un tribunal militaire et condamné à 8 ans de prison. Libéré fin 2005 – beaucoup, en France, ont milité pour sa libération (3)- il est considéré comme indésirable sur sa terre natale.

Sauver ce qui peut être sauvé

Parcourant les conférences et les symposiums aux quatre coins de l’Europe, le Professeur estime que la mesure la plus urgente est d’assurer la conformité des produits agricoles aux normes de sécurité en matière de radioactivité. La conférence de Vilnius le 9 octobre 2008, soulignait notamment l’urgence pour le gouvernement bélarusse d’ « un renforcement du contrôle de la présence de radionucléides dans les aliments  et d’une décision révisant les niveaux de radiation admis (PRLs) »

A la question de sillon38 : peut-on encore consommer des aliments sains et indemnes de toute contamination dans cette région, M.Bandajevsky répond : « On peut produire des aliments qui ne contiennent pas de radionucléides. Encore faut-il avoir la volonté de le faire. Il est plus simple d’affirmer que personne ici ne consomme de produits radioactifs. Mais quand on a bu du lait au taux autorisé de 100becquerels/l pendant 10 ans d’affilée, on peut supposer que l’on a absorbé une certaine dose de radioactivité ».
M.Bandajevski milite pour la création d’un syndicat international des liquidateurs de l’accident de la centrale de Tchernobyl ayant pour objet le renforcement de la protection légale de ces citoyens ainsi que d’une association d’ aide aux victimes de la catastrophe.
« Où ? Pas en Lituanie, souligne le professeur, où le lobby nucléaire est puissant. Je penche plutôt pour l’Ukraine. Ce serait logique. Plus de 3 millions de personnes vivent dans une zone contaminée ».
Mais là aussi, pour faire aboutir ce projet, il faudra mobiliser. Même avec le soutien du Parlement européen (déclaration du 17 avril 2008), on est encore loin de passer des paroles aux actes. Comme il le constate lui-même : « L’intérêt de la communauté internationale décline à l’égard de l’après-Tchernobyl  tandis que la santé des populations se dégrade ». On peut également appliquer cette remarque aux médias. Un seul journaliste, informé par hasard de la tenue de cette réunion, cette table ronde, pourrait-on dire, était présent à cette conférence de presse, hier à 11h.

« Rentrer chez moi : c’est mon objectif »

Cela ne décourage pas pour autant M.Bandajevsky : « J’ai pris la décision de mener le combat, de sonner l’alarme. Alors, je continue. Vous savez, moi je ne souhaite que rentrer à la maison, au Bélarus. C’est mon objectif. Il n’est pas d’autre endroit où je voudrais vivre. Mes enfants ont grandi dans cette zone, ils y vivent et y travaillent. Et c’est triste à dire, mais les conséquences de la contamination, je peux les voir en examinant la santé de mes propres enfants ».

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(1) Il était invité par les associations Enfants de Tchernobyl Belarus, ADES-Verts-Alternatifs, IndependentWho, Sortir du nucléaire. Une conférence-débat était organisée hier soir à la Maison des asssociations après la projection du film de W.Tchertkoff « Le piège atomique », tourné au Bélarus.


(2)Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Le nombre exact de victimes reste inconnu. Mais la liste s’allonge de jour en jour : pompiers, équipages d’hélicoptères, mineurs, liquidateurs appelés pour nettoyer le site. Plusieurs millions de personnes vivent encore sur les territoires les plus contaminés où 80% des enfants sont malades.

(3) Le 10 avril 2003, le Conseil municipal de la ville de Grenoble votait une motion de soutien demandant sa libération au président Loukachenko. 24 autres villes ou Conseils régionaux le nommeront citoyen d’honneur ou voteront des motions de soutien. Le Professeur Bandajevsky a d’ailleurs tenu à remercier hier « ses amis grenoblois »

Gilbert

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