Le sanglier ne ménage pas les alpages

Sus crofa (c’est son nom latin) ne se contente pas de labourer les cultures de plaine. Il s’aventure également dans les étages supérieurs pour retourner les pelouses d’alpages, à 1500m et au-delà. Cet intrus constitue une contrainte supplémentaire à la fois pour les agriculteurs de montagne et les gestionnaires de ces espaces.

Une étude réalisée par un étudiant du Cemagref Grenoble,Jean-François Gatel, sous la direction de Grégory Loucougaray et François Véron, au sein de l’unité de recherche Ecosystèmes montagnards (UR EMGR) analyse précisément l’impact des dégâts  (que l’on appelle des boutis) de ces mammifères sur la végétation en alpage (festuçaie et nardaie, principalement) et leurs conséquences.

Ce minutieux travail scientifique, qui a démarré en 2006 s’est étalé sur quatre ans pour s’achever en avril dernier. Les deux premières années ont été financées par le programme LIFE Nature et Territoire en région Rhône-Alpes (Programme n°000079), piloté par l’Office National des Forêts. Initialement basée sur un seul site d’étude  (alpage de la Molière, massif du Vercors), l’étude a ensuite été étendue à deux autres alpages (Charmant Som et col du Coq, massif de la Chartreuse) afin de compléter  l’échantillonnage et pour valider les résultats obtenus à la Molière (1).

Les deux dernières  années ont été financées par le Conseil Général de l’Isère (Pôle Départemental de Recherche  sur la Biodiversité), dans le cadre d’un appel à projet 2008 (contrat DAT/SENV 2008-0040).

L’étude  comporte quatre axes pour l’évaluation de l’impact des dégâts de sanglier :

– L’estimation des surfaces retournées ;

– L’étude de la résilience de la végétation ;

– L’étude de l’impact des boutis sur différentes caractéristiques de la végétation ;

– L’analyse potentielle de l’impact des boutis sur certaines populations d’animaux sauvages.

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(photos Jean-François Gatel)

La dégradation des écosystèmes prairiaux naturels ou semi-naturels résultant des activités des mammifères et micro-mammifères sauvages (sangliers, campagnols terrestres, taupes, marmottes…) ne constitue pas un phénomène nouveau. Les sangliers, notamment, peuvent impacter de façon conséquente prairies et cultures par leurs activités de fouissage liées à la recherche de nourriture. L’importance des surfaces touchées a ainsi justifié des études parfois à de grandes échelles pour estimer les options de gestion des populations et leurs implications.

Préserver les espaces pastoraux

Les alpages- et sillon38 qui y consacre une part importante s‘efforce de le démontrer- ont un rôle socio-économique essentiel, à la fois comme espace de travail  (agriculture, pastoralisme, hébergement touristique) et comme espace patrimonial et de loisir. Les enjeux agro-pastoraux et environnementaux (paysage, biodiversité, stockage CO2) qui se jouent à ces étages sont suffisamment forts pour que leur préservation soit un objectif partagé.

Or la fréquence des perturbations dues aux sangliers augmente dans les alpages du fait de  l’expansion démographique et territoriale de l’espèce. L’impact de ces perturbations  appelées  boutis  sur les communautés végétales n’a pas été étudié dans ce contexte particulier d’alpage. Ce rapport fournit  des éléments de réponse aux questions posées sur l’impact des dégâts de sanglier pour la gestion conservatoire des alpages et leur utilisation agro-pastorale.

Les résultats montrent, notamment, que la gestion pastorale et agricole de ces alpages est directement impactée, soit par une diminution de la quantité de fourrage disponible, soit parce que la création de zones de terre nue peut faciliter le développement d’espèces envahissantes.

Jean-François Gatel note que :

– la présence de boutis entraîne une perte moyenne de 30% de la biomasse disponible

-l’amélioration de la qualité nutritionnelle de la végétation ne compense pas la perte quantitative

– le rôle facilitant des boutis de sanglier pour le développement du cirse laineux est localement avéré.

Des dégâts en forte augmentation depuis 15 ans

Depuis quelques années, l’emprise des dégâts due aux activités de fouissage des sangliers a connu une recrudescence importante sur l’ensemble du territoire français. Un phénomène préjudiciable à ceux qui cultivent la terre, une calamité  qui attise les conflits, notamment entre agriculteurs et chasseurs (voir nos précédents articles sur ce sujet).

Une des conséquences de cette augmentation rapide des effectifs nationaux a été l’installation de populations sur des milieux d’altitude, populations qui se sont rapidement acclimatées du fait de capacités d’adaptation remarquables et d’un potentiel reproducteur élevé chez cette espèce.

Cela s’est traduit par une très forte augmentation des dégâts dus aux sangliers sur les prairies d’alpage au cours des 15 dernières années, pouvant conduire à de fortes modifications aussi bien sur la faune que sur la flore.

Ce rapport scientifique du Cemagref Grenoble  permet une interprétation globale et synthétique de l’effet des dégâts de sangliers sur la végétation d’alpage par une analyse synchronique s’appuyant sur un protocole permettant la comparaison de boutis d’âges différents sur un gradient de recolonisation. Les travaux de Jean-François Gatel devraient permettre d’anticiper les effets probables d’impacts de sangliers sur d’autres sites ou communautés végétales prairiales d’altitude en intégrant à la fois la variabilité spatiale et temporelle de réponse de la végétation ainsi que les pratiques pastorales.

—–   Trois questions à Jean-François Gatel    —–

L’impact de ces boutis sur la biomasse fourragère est-il préoccupant ?

« De façon générale la végétation d’alpage présente une résilience rapide (NDLR : la résilience est la capacité pour un écosystème de retrouver un état et un fonctionnement écologique similaire à celui précédant la perturbation)  aux perturbations dues aux sangliers (3 ans) et, sur des alpages à l’utilisation plutôt extensive, n’entraîne pas encore de limitation significative de la ressource fourragère. Cependant l’étude montre que cet impact peut être localement important, aussi bien du point de vue de la gestion conservatoire en favorisant la disparition progressive d’un milieu d’intérêt patrimonial (la nardaie), que de la gestion pastorale en limitant de façon importante sur certaines zones la biomasse fourragère disponible et en favorisant des espèces peu appétentes ».

Comment sortir de cette situation qui empoisonne la vie des agriculteurs de montagne ?

« La restauration des surfaces dégradées est une solution parfois envisagée mais très coûteuse et finalement peu judicieuse au vu de la résilience rapide du couvert et des fortes probabilités de retour des sangliers sur les mêmes zones. Tout au plus elle favorisera l’acceptation du problème. Il convient plutôt de chercher à limiter l’intensité des dégâts. La présence de boutis est une contrainte pour le milieu agricole et pour les gestionnaires (destruction d’espèces protégées ou d’habitats remarquables) et s’en affranchir passe par un effort partagé de concertation entre les acteurs afin de réduire la pression des sangliers sur ces milieux ».

Des moyens de prévention peuvent-ils être envisagés compte tenu des résultats de votre étude ?

« Cette étude ne répond  pas à la question, car ce n’est pas la compétence des auteurs. Les moyens de prévention à mettre en place (augmentation de la pression de chasse, remboursement des dégâts notamment) sont du ressort des gestionnaires de ces espaces (ONF, CG 38), et sont déjà largement mis en place en fonction du cadre législatif en vigueur.. Cette étude est donc élément pour les aider à prendre leurs décisions afin de mieux gérer les éventuels conflits entre les acteurs ».

Au musée de la faune et des minéraux de Bourg-d'Oisans
Au musée de la faune et des minéraux de Bourg-d'Oisans

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(1) A noter que les informations collectées auprès de Vincent Charrière, berger sur l’alpage de la Molière depuis 1982, ont été d’une aide précieuse pour le chercheur. Cet alpage  a été l’ un des derniers gros alpages ovins transhumants du Nord-Vercors.

Gilbert

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