Recherche publique et OGM : il faut sortir du paradoxe

La décision  de la Cour d’Appel de Colmar dans l’affaire de la destruction, en 2010, d’un essai scientifique non-marchand en plein champ mené par l’Inra sera immanquablement l’occasion de débattre de la place de la recherche publique en matière d’expertise, d’innovation pour répondre aux enjeux sociétaux et de soutien à la compétitivité économique.

Il n’appartient pas aux chercheurs de décider des choix technologiques et scientifiques d’une société. Il n’en reste pas moins que deux missions incombent à la recherche, au-delà de sa vocation exploratoire première : produire et diffuser des connaissances utiles à la décision publique ; contribuer à l’innovation pour relever les défis sociétaux identifiés collectivement et soutenir la compétitivité de notre économie.

L’Inra est aujourd’hui actif dans le domaine des risques alimentaires : il participe à plusieurs projets de recherche français et européens, dont les résultats sont attendus pour mieux appréhender les effets des OGM sur la santé humaine ou animale. La situation est toute autre pour les risques environnementaux : alors que l’Inra a, dans le passé, conduit de nombreuses recherches sur ces sujets, nos essais les plus récents ont été détruits par des commandos de faucheurs ou bien n’ont pas été renouvelés par les pouvoirs publics pour de complexes questions de procédure.

Parallèlement, notre pays s’emploie depuis plusieurs années à identifier les fronts d’innovation susceptibles de répondre aux grands défis sociétaux liés à la sécurité alimentaire et à la gestion durable des ressources et des milieux, de stimuler nos filières et nos industries et de contribuer au retour de la croissance économique.

La recherche publique bénéficie ainsi, en France, du programme des Investissements d’avenir. Elle est également appelée à mobiliser des crédits européens dans le cadre du programme Horizon 2020 qui encourage les travaux scientifiques dans le domaine des biotechnologies, dont les OGM ne sont qu’une facette.

Le paradoxe est ainsi éclatant : d’un côté, la recherche publique est incitée à produire des connaissances et des innovations fondées sur les avancées les plus récentes des sciences et technologies du vivant ; de l’autre, elle est vandalisée ou bridée et elle ne peut produire les connaissances qui sont attendues de sa part, notamment en appui à l’expertise publique sur ces mêmes technologies.

Que faire pour sortir des violences illégales, de la destruction de biens publics financés par l’impôt et de cette paralysie de la recherche publique sur les OGM ? Faut-il, comme les chercheurs anglais, mener des travaux derrière des barbelés ?

Faut-il, comme en Suisse, sanctuariser un site national unique dédié aux essais de la recherche publique sur les OGM ? Si ces deux pays ont souhaité maintenir des essais au champ, c’est bien que ceux-ci sont nécessaires pour obtenir des résultats scientifiques robustes : l’expérimentation en serre et la modélisation mathématique ne sont en effet pas suffisantes pour saisir la complexité d’un système agricole.

Si un site d’expérimentation proche du modèle suisse devait voir le jour en France, il devrait garantir le « confinement extérieur » de ces essais, permettant de travailler en conditions culturales tout en évitant les risques de dissémination à grande échelle, comme nous l’avions fait sur notre essai détruit à Colmar.

La France, comme la majorité de l’Europe, s’oriente aujourd’hui vers un modèle agricole sans OGM cultivés et vers l’agro-écologie — celle-ci est d’ailleurs l’une des priorités scientifiques majeures de l’Inra.

Pour autant, ce choix démocratique ne doit pas amener le service public de recherche à baisser la garde dans ses travaux sur les OGM. Pouvons-nous en effet renoncer à étudier — comme l’exige souvent la société — leurs impacts environnementaux ou sanitaires alors que leur expansion mondiale est une réalité ?

Pouvons-nous laisser à d’autres la maîtrise des technologies les plus récentes et brider ainsi la compétitivité des entreprises françaises et européennes sur les marchés étrangers ? Pouvons-nous nous priver d’explorer les potentialités de ces technologies pour atteindre des objectifs d’intérêt public ou pour répondre, dans le futur, à d’éventuelles crises sanitaires ou climatiques ? Enfin, pouvons-nous donc vraiment faire l’économie d’essais scientifiques au champ en conditions contrôlées, pour traiter ces différents enjeux ?

François Houllier, Président de l’Inra

Gilbert

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