Le projet de loi relatif aux OGM est, comme on le sait, en débat jusqu’à demain à l’Assemblée nationale. Nous avons mis en ligne hier l’intervention du ministre de l’Agriculture sur ce sujet. Mais pour donner une idée du climat qui règne au sein de l’hémicycle, nous vous proposons de lire aujourd’hui, sous un angle plus vert, une partie des débats qui ont eu lieu hier soir, à partir de 21h30. Une belle pièce de théâtre qui pourrait s’intituler « Vérités et contre-vérités sur les OGM ». C’est Yves Cochet, pour les Verts, qui a pris le premier la parole:
M. Yves Cochet – Ce texte pourrait bouleverser notre agriculture et notre rapport à l’alimentation et à la nature. Les enjeux des OGM ne sont pas seulement politiques et économiques ; il s’agit également d’éthique et de civilisation. Notre avenir sera irréversiblement modifié. Ce qui est en jeu, c’est le sens que nous donnons à la modernité et au progrès.
Ce texte aura des conséquences vertigineuses sur les fondements de la vie du fait du franchissement de la barrière entre les espèces, des manipulations et du brevetage du vivant, mais aussi de la dissémination irréversible et de l’évolution incontrôlable des OGM. Les industriels des biotechnologies jouent aux démiurges en cherchant à recréer la nature pour la rendre plus rationnelle et plus propre en apparence. Or, le vivant échappera à ses créateurs, et deviendra instable et incontrôlable, à l’image du monstre créé par le professeur Frankenstein.
Je voudrais dénoncer à cette tribune les contrevérités propagées par les semenciers, qui nous ont abreuvés de brochures tendant à démontrer la nécessité absolue de leurs produits. Ce projet de loi est trompeur et dangereux, car il fait l’impasse sur des questions essentielles : les distances, les seuils, et la responsabilité des différents acteurs. Y a-t-il lieu de nous prononcer sur un texte visant à légaliser une technique mal maîtrisée et aux conséquences incertaines ? Tel est l’objet de cette question préalable. Je ne vois pas où est aujourd’hui l’urgence agricole ou sociale.
Les Verts ne sont pas du tout opposés à la recherche sur les OGM, notamment à des fins thérapeutiques. Près de 15 à 20 % des médicaments sont issus des biotechnologies. Tout le monde sait que le génie génétique est utilisé en laboratoire depuis plus de trente ans, mais en milieu confiné. Or, un champ n’est pas le prolongement d’un laboratoire : en faisant entrer les OGM en plein champ, nous passerons de l’espace clos du laboratoire à l’espace social et écologique.
La limite que nous devons fixer aux OGM, c’est leur confinement. Il nous semble scientifiquement dangereux de disséminer dans la nature des OGM qui pourront irréversiblement contaminer des millions d’autres plantes. Nous n’avons pas aujourd’hui d’estimations fiables concernant les effets en chaîne sur les écosystèmes et la santé humaine qui pourraient en résulter. Les industries semencières jouent aux apprentis sorciers, s’abritant derrière le secret industriel. Ne donnons pas la priorité aux brevets sur le temps de l’évaluation.
J’observe que les deux ministres présents ce soir semblent partager nos doutes. Mme Kosciusko-Morizet déclarait ainsi à RMC, le 3 juillet 2007, qu’elle était assez réticente à l’égard des OGM, ajoutant que la question se posait différemment selon qu’il s’agissait d’un intérêt pour la société ou d’un intérêt purement commercial, et qu’il n’est pas nécessaire de prendre le risque des OGM.
M. Noël Mamère – Très bien !
M. Yves Cochet – S’agissant de la coexistence des cultures OGM et non-OGM, qui est un non-sens à nos yeux, M. Borloo déclarait au journal Le Monde, le 20 septembre 2007, que l’on ne peut contrôler la dissémination (« Très bien » sur les bancs du groupe SRC). Rien ne garantit l’étanchéité totale entre les cultures. On ne peut encadrer le vent, maîtriser la trajectoires des abeilles ou contrôler le vol des oiseaux.
Les OGM ne posent pas seulement des difficultés aux agriculteurs, mais aussi aux apiculteurs et à l’ensemble de la société. La pollinisation de la majorité des espèces cultivées en France dépend des abeilles – le tournesol, le colza, le maïs, les fruits… En cas de culture d’OGM, les autres producteurs ont tendance à refuser que des apiculteurs installent des ruches sur leur terrain, car ils craignent la contamination de leurs récoltes. La directive que ce texte est censé transposer en partie, reconnaît que les organismes vivants disséminés dans l’environnement, en grandes ou petites quantités ou en tant que produits commerciaux, peuvent se reproduire et franchir les frontières nationales, au risque d’affecter d’autres États-membres et de produire des effets irréversibles sur l’environnement – c’est le considérant 4 de la directive communautaire.
Le comité de préfiguration, déjà cité par notre collègue Philippe Martin, a ainsi conclu qu’il existait de nombreuses interrogations sur les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de la culture et de la commercialisation du Monsanto 810, un maïs transgénique. Le sénateur Jean-François Le Grand a notamment émis des doutes sérieux à ce sujet.
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire – Cela n’engage que lui !
M. Yves Cochet – Selon notre collègue du Sénat, certains auraient fait main basse sur l’UMP pour défendre des intérêts mercantiles.
M. Patrick Ollier, président de la commission – C’est indigne et scandaleux !
M. Yves Cochet – À terme, les semences naturelles disparaîtront et l’agriculture biologique sera condamnée : on ne pourra plus garantir l’absence d’OGM dans les cultures.
Songez à la mésaventure de deux agriculteurs des Deux-Sèvres dont les exploitations de produits biologiques ont été contaminées par des OGM sans que l’on puisse en identifier la cause. C’est pour résoudre ce genre de problèmes aux conséquences parfois désastreuses que l’un de nos amendements vise à inverser la charge de la preuve, en exigeant du responsable présumé qu’il démontre lui-même son innocence. En effet, nos deux agriculteurs ont perdu leur label « bio » qu’ils auront bien du mal à récupérer. Aucun dédommagement ne peut compenser le préjudice financier et moral qu’ils subissent. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres : tous les élus de circonscriptions rurales savent combien nos produits biologiques et nos labels sont appréciés. Que deviendront les poulets de Loué ? Pourra-t-on garantir que leur alimentation demeure non transgénique ?
Personne ne souhaite que les produits français rivalisent avec les énormes quantités monotones du Midwest. Au contraire, l’atout principal de notre agriculture, c’est sa diversité : les terroirs, les labels, les produits de qualité, voilà ce qu’il faut préserver ! Le Président de la République envisageait même de demander l’inscription de la gastronomie française au patrimoine mondial de l’UNESCO.
M. Jean Dionis du Séjour – Il a raison !
M. Yves Cochet – Peut-être, mais il faut alors en exclure les OGM (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR) !
Le projet de loi, dès son article premier, évoque la liberté de produire et de consommer « avec ou sans OGM ». Or, le relevé de conclusions de la table ronde du Grenelle de l’environnement consacrée aux OGM prévoit la liberté de produire et consommer « sans OGM » : ce n’est pas la même chose !
Il faut reconnaître l’existence d’un dommage potentiel dû à une contamination dès que du matériel génétiquement modifié est identifié au seuil de détection scientifique. Celui-ci est naturellement le seul qui vaille, malgré la reconnaissance d’un seuil d’étiquetage européen fixé à 0,9 % d’OGM dans un produit. Soyons clairs : un produit sans OGM est un produit qui contient 0 % d’OGM. L’amalgame entre les deux seuils est malhonnête.
M. Jean Dionis du Séjour – C’est le retour des Cathares !
M. Yves Cochet – La DGCCRF l’avait d’ailleurs reconnu il y a trois ans, et nous reprenons sa remarque d’alors dans l’un de nos amendements.
Quatrième contrevérité : on entend encore aujourd’hui que les OGM permettraient de nourrir le monde sous-développé. Les OGM seraient donc une réponse à la famine ? Allons donc ! Nous avons tous lu le livre et vu le film de Mme Robin…
M. Bernard Debré – Une vraie Bible !
M. Yves Cochet – …qui montre très bien comment le système de brevetage des semences maintient les paysans dans une situation de dépendance économique. Or, les OGM étant tous brevetés, ils accroîtront la dépendance des agriculteurs du Sud.
M. Jean Auclair – C’est faux !
M. Bernard Debré – Au contraire : ils augmentent leur productivité de 40 % grâce aux OGM ! Vous voulez donc tuer le tiers-monde ? Assassin !
M. Yves Cochet – Un autre documentaire, « Le marché de la faim », nous apprend que la production agricole mondiale permet actuellement de nourrir onze milliards d’habitants. Si certaines famines se produisent encore, ce n’est donc pas un problème de production, mais bien un problème de répartition dû au système productiviste de l’OMC. Comment expliquer autrement les famines de certains pays africains qui exportent par ailleurs une partie de leur production vers le Nord ? Songez que dans le même temps, les pays développés sont en situation de surproduction au point qu’une partie des stocks doit être donnée aux animaux ou même brûlée pour éviter l’effondrement des prix. Bref, les OGM ne soigneront pas les perversions du marché alimentaire mondial !
Autre argument fallacieux : les OGM permettraient de diminuer l’utilisation des pesticides. Pas du tout ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)
M. Bernard Debré – De grâce, un peu de sérieux !
M. Yves Cochet – Songez aux semences dites « Roundup ready » : on sait désormais que les mauvaises herbes se sont adaptées aux herbicides censés les éliminer. La nature évolue !
M. Bernard Debré – Contrairement aux Verts !
M. Yves Cochet – Avec la mutation des prédateurs, les toxines transgéniques deviendront inefficaces mais pourront par ailleurs détruire des insectes auxiliaires utiles. Et que dire de l’éventuelle modification des micro-organismes du sol ? Tous ces risques sont bien trop graves pour que l’on laisse les grandes entreprises semencières s’emparer des milieux naturels et les ravager sans ménagement.
MM. Christian Ménard et Christian Jacob – Mensonges !
M. Yves Cochet – D’autres risques sanitaires mal évalués existent, qui justifieraient l’application du principe de précaution. Ainsi, l’ingestion de pesticides ou d’insecticides dits protéiques par le consommateur pourraient entraîner des intoxications, des modifications microbiologiques aggravant par exemple la résistance aux antibiotiques, des recombinaisons virales ou encore des effets allergisants.
M. Bernard Debré – C’est faux !
M. Yves Cochet – Non : le groupe Monsanto lui-même a financé des études, dont les résultats n’ont été rendus publics qu’après saisine de la justice, qui montrent des différences statistiques significatives entre des rats selon qu’ils ont été exposés ou non aux OGM.
M. Bernard Debré – Au contraire : ces différences ne sont pas significatives !
M. Yves Cochet – Je m’étonne que pas une fois ce projet de loi n’appelle les OGM par leur vrai nom : des plantes à pesticides. Le Président de la République ne déclarait-il pas lui-même en octobre dernier avoir des doutes sur ces plantes, sur leur dissémination, sur les bénéfices sanitaires et environnementaux qu’elles produiront, au point qu’il prônait la suspension de leur culture commerciale en attendant les résultats de l’expertise menée par le comité de préfiguration ? Eh bien, nous partageons les doutes de M. Sarkozy !
Monsanto est déjà responsable de la pollution aux PCB et au pyralène de la vallée du Rhône.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie – Pas seulement de cette vallée !
M. Yves Cochet – Monsanto a également produit le terrible agent orange et, plus tard, les dioxines ou le Roundup. Et voilà qu’aujourd’hui, cette entreprise commercialise à la fois des OGM et les produits nécessaires à leur emploi, faisant ainsi un bénéfice double.
M. Christian Jacob – Votre attitude fait de vous le meilleur soutien de Monsanto ! Quels sont vos liens véritables avec cette entreprise ?
M. Noël Mamère – L’attaque est la meilleure défense, Monsieur Jacob !
M. Yves Cochet – Le chiffre d’affaires de Monsanto, qui produit 90 % des OGM dans le monde, était de 8 milliards de dollars en 2007. En dix-huit mois, le cours de son action a triplé et ses bénéfices pourraient doubler d‘ici à 2012. Ces enjeux financiers considérables imposent de s’assurer de l’indépendance absolue des membres du Haut conseil des biotechnologies, pour éviter le mélange entre les enjeux publics de la politique agricole et privés des firmes. Privatiser la nature, généraliser le brevetage du vivant serait permettre le monopole de l‘alimentation au profit d’entreprises transnationales. Le politique n’aurait plus aucun recours pour contrer la progression de la contamination.
Ce projet de loi va engager indéfiniment la politique agricole et environnementale de la France, compte tenu de l’irréversibilité de la dissémination. Il va peser sur toutes les générations futures. Il va les priver de la liberté de consommer et de produire sans OGM. Il va laisser aux mains des industries semencières l’arme suprême, l’arme alimentaire. Le Haut conseil n’aura pas un pouvoir suffisant pour les contrer. Nous allons donc continuer à disséminer dans l’environnement des produits à risque, ce qui revient à renier le Grenelle de l’environnement. Quant aux autres points du Grenelle, vous semblez avoir honte de montrer votre avant-projet de loi-cadre, dont M. Ollier aurait une copie. Pourtant, nous pourrions faire des propositions constructives !
Avec la généralisation des OGM, la nature sera irrémédiablement bouleversée. En voulant soumettre le vivant à ses volontés, l’être humain en réduit les richesses et se prive de la variété de ses ressources. La nature sera standardisée. La tomate parfaite, multipliée à l’infini, ne sera plus un bien commun mais une licence légale. En manipulant ainsi la nature, l’être humain fait de lui-même son propre terrain d’expérimentation. Il ne remarque pas que les compagnies d’assurances par exemple, qui sont loin d’être des écolos patentés mais qui savent qu’un sou est un sou, refusent d’assurer les cultures OGM car le risque est proprement inconnu et non évaluable ! C’est pourquoi je vous appelle à voter cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC).
M. Jean-Paul Anciaux – À une autre époque, avec les mêmes arguments, il n’y aurait jamais eu d’avions ! (Protestations sur les bancs du groupe GDR et du groupe SRC)

