Un ami de sillon38 nous a transmis ce texte relatant les rencontres qu’il retient de ses quinze jours de vacances. Vachement sentimental.
Si le bonheur est dans le pré, ce n’est jamais très loin d’une bouse de vache. Et il se trouve que j’ai surtout rencontré des bêtes à cornes pendant les vacances. Il paraît que l’on ne leur accorde pas suffisamment d’affection, qu’on les traite (c’est le cas de le dire) comme des machines.
C’est un Japonais qui m’a dit ça. Eizo Sakata. J’ai croisé sa « vache qui ne rit plus » dans les rues de Saint-Flour (Cantal). Entièrement réalisée par assemblage de divers conditionnements de produits laitiers (briques, pots de yaourts, bouteilles plastique, etc.) .
Quand j’ai vu cette œuvre, superbe, au détour d’une rue et en pleine crise du lait, je me suis dit, tiens, un artiste qui s’en prend aux industriels qui ne payent pas le juste prix aux éleveurs.
Je me trompais. C’est sur la condition animale que l’artiste s’interroge. Il explique que cette création est née du constat suivant : « le rôle de plus en plus grand occupé par la vache dans nos pays industrialisés ». Eizo Sakata soutient que « les vaches deviennent de simples éléments fournisseurs de matière première, des sortes de machines à fabriquer du lait ».
Peut-être qu’Eizo Sakata ne connaît pas l’expression française « On n’est pas des vaches à lait », (et sa variante : « on n’est pas des boeufs ») qui dit bien ce qu’elle veut dire. La condition bovine n’est pas enviable. Mais ce n’est pas pour autant qu’on méprise la vache. Ce brave ruminant, depuis l’aube des temps, remplit sa fonction, nos bols et nos biberons. Et on ne peut que l’en remercier ainsi que l’éleveur qui s’est levé tôt pour faire la traite (s’il n’est pas encore assisté d’un robot de dernière génération qui se charge de tout, sauf bien sûr d’échanger des amabilités avec celles dont il ponctionne le pis).
Avec sa « vache qui ne rit plus », Eizo Sakata nous invite donc à repenser notre rapport à cet animal.
Je ne vois pas bien où il veut en venir. Qui voudrait du mal à ce paisible animal ? Les mouches et les taons, à la rigueur. Mais rares sont les humains qui méprisent cette mamelle nourricière. Il suffit d’assister à quelques foires ou comices agricoles (venez nous voir en Isère !) pour constater avec quelle considération, quels égards, quelle fierté les éleveurs mettent en scène leurs animaux. Croyez-moi, M.Sakata, ils les aiment, leurs vaches !
En ce qui me concerne, je tiens à vous rassurer : ces créatures m’étonneront toujours. J’ai beaucoup d’admiration, en particulier, pour leur appareil digestif. Je me demande parfois si en ruminant, elles ne nourrissent pas des sentiments.
Celle que j’ai rencontrée cet été sur la montagne de Cagna, en Corse, avait l’air assez contente de me voir. Je ne dirais pas vachement contente, mais plutôt conciliante, quoi. J’étais aussi très heureux de faire sa connaissance. Je n’avais pas croisé âme qui vive, depuis des heures que j’arpentais dans ces caillasses par 38° à l’ombre.
Comme Diogène, je cherchais un homme. Un homme de pierre baptisé l’uomu di cagna. Je ne l’ai jamais trouvé. Je ne suis pas sûr que Diogène l’ait trouvé non plus, l’ homme qu’il cherchait en s’aidant d’une lanterne.
En tout cas, mes pas m’ont conduit vers cette petite vache corse, sur cet alpage du bout du monde, et le courant est passé. Je l’ai prise en photo (voir ci-dessus). Et on s’est quittés en excellents termes. Il y a des fois où la présence d’un ruminant vaut bien celle d’un homme.
Comme je vous le disais, si le bonheur est dans le pré, ce n’est jamais très loin d’une bouse de vache.