La diversification des cultures progresse peu malgré son intérêt environnemental et son inscription dans divers dispositifs incitatifs. Les ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement ont commandé à l’Inra une étude visant à identifier les freins à la diversification des cultures en France, et les leviers mobilisables pour la favoriser. | |
La révolution agricole de l’après-guerre a conduit à une intensification et une spécialisation importantes de l’agriculture française, grâce au développement de la mécanisation et des intrants industriels (engrais, pesticides) et naturels (eau d’irrigation). La structuration concomitante des filières agro-industrielles a par ailleurs favorisé une spécialisation régionale des productions agricoles pour mieux garantir la quantité et la qualité des approvisionnements. Cette spécialisation s’est accompagnée d’une réduction du nombre d’espèces cultivées et d’un raccourcissement des rotations, l’efficacité croissante des produits phytosanitaires permettant d’atténuer les effets agronomiques négatifs des rotations courtes ou des assolements simplifiés. Plusieurs études réalisées récemment par l’Inra1 ont mis en avant la diversification des espèces cultivées, dans une exploitation agricole ou à l’échelle d’un territoire, comme un levier d’action pour réduire l’usage d’intrants chimiques et les nuisances environnementales associées à leur utilisation excessive. Mais cette diversification des cultures doit aussi permettre le maintien de la compétitivité de l’agriculture française dans le cadre d’une économie de marché mondialisée. Elle doit, en outre, être replacée dans un contexte agronomique ; en effet, les cultures de diversification ne prennent sens que dans le cadre d’assolements et de rotations qui n’étaient pas l’objet de l’étude, mais qui sont essentiels pour effectuer un bilan global de leur intérêt environnemental et économique. L’étude de plusieurs espèces de diversification (chanvre, lin, pois, luzerne, lupin, sorgho…) met en évidence non seulement une variabilité très importante en termes de surfaces d’implantation et de dynamique d’évolution de celles-ci, mais aussi de nombreux freins techniques à leur développement liés à une disponibilité insuffisante de produits phytosanitaires, de machines agricoles, de références agronomiques et, pour certaines, de variétés. Ces cultures constituent des marchés trop petits pour rentabiliser des investissements dans tous ces domaines. D’autres freins interviennent en aval de la production, où ces espèces se trouvent en concurrence avec des matières premières moins chères ou plus accessibles. A contrario, les cultures de diversification parviennent à se développer lorsqu’elles présentent des qualités spécifiques reconnues et rémunérées sur des marchés différenciés. Ce développement requiert aussi une forte coordination entre tous les acteurs de la filière afin d’assurer des débouchés rémunérateurs aux producteurs, un approvisionnement sécurisé aux industriels, et la mobilisation de la recherche et du développement nécessaires à la maîtrise technique de la production et de la transformation. Or, un tel fonctionnement est difficile à instaurer au sein du « régime sociotechnique » dominant, où les intérêts des différents acteurs des filières, leurs choix techniques et économiques se renforcent les uns les autres et concourent ainsi à « verrouiller » les systèmes productifs autour des espèces majeures (blé, maïs, colza…). Les cultures de diversification ne peuvent alors se développer que dans des « niches », partiellement isolées de ce régime, qui permettent la mise en place d’apprentissages et la construction de réseaux économiques capables de supporter des filières de production et de commercialisation innovantes. L’étude conclut que la diversification des cultures repose nécessairement sur la mobilisation simultanée et organisée de nombreux acteurs pour permettre l’établissement de débouchés stables et rémunérateurs. Pour impulser et faciliter cette mobilisation, l’action publique doit être raisonnée de manière systémique, et combiner différentes mesures complémentaires visant à infléchir et coordonner les stratégies de ces différents acteurs. Deux grandes catégories de leviers doivent être mobilisées :
Enfin, il apparaît nécessaire de mettre ce travail en perspective en le situant plus globalement par rapport à l’ensemble des systèmes de culture et à l’ensemble des filières françaises et en essayant de proposer des scénarios quantitatifs et d’en évaluer les conséquences, à l’instar de ce qui a été fait dans l’étude « Ecophyto R&D ». Il serait notamment intéressant d’évaluer plus précisément ce que l’on peut espérer gagner en termes d’impacts environnementaux globaux grâce à l’adoption de ces cultures de diversification. 1Etudes « EcoPhyto R&D » (2010) et « Réduire les fuites de nitrates au moyen des cultures intermédiaires » (2012) ; Expertises scientifiques collectives « Pesticides, Agriculture et Environnement » (2005), « Sécheresse et Agriculture » (2006), « Agriculture et Biodiversité » (2008) et « Variétés Tolérantes aux Herbicides » (2011).Retrouvez l’ensemble des résultats de l’étude dans le document de synthèse : http://www.inra.fr/l_institut/etudes/diversification_des_cultures |