Loup: »la situation continue à se dégrader à grande vitesse »

Au rendez vous des alpagistes, au sommet du Glandon, les participants au colloque ont écouté avec beaucoup d’attention Laurent Garde du Centre d’Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée pour la gestion des espaces naturels par l’élevage.

Sans se montrer alarmiste, excessif, il a décrit la situation telle qu’elle existe.. Une situation qui se dégrade rapidement.

Laurent Garde, avec à sa gauche Bruno Garaguel, directeur de la Fédération des alpages de l'Isère
Laurent Garde, avec à sa gauche Bruno Garaguel, directeur de la Fédération des alpages de l'Isère


 » Le CERPAM est la structure de pastoralisme déployée dans les six départements de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. A ce titre, nous sommes en première ligne pour recevoir les loups, puisque nous concentrons sur la région les deux-tiers des meutes de l’espèce en France ainsi que les deux-tiers des dégâts. C’est au titre de cette douloureuse expérience que nous sommes membres du Groupe national Loup en ce qui concerne l’expertise sur l’élevage.

La situation sur le terrain continue à se dégrader à grande vitesse.
Elle se dégrade encore dans les départements de présence historique de loups où l’on ne croyait pas la chose possible. Depuis le début de l’année, c’est déjà une hausse de 30 à 40 % pour les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes.


La présence des loups s’étend partout en France.

Après la partie occidentale du massif pyrénéen, Pyrénées-Orientales, Aude, Ariège, c’est désormais la Lorraine, la Champagne, et de plus en plus le Massif Central qui sont touchés. Or, il faut le rappeler, nous ne disposons d’aucune stratégie cohérente pour protéger les différents lots de l’éleveur individuel répartis sur son parcellaire souvent morcelé. Il faudra, il faudrait multiplier le nombre de patous. Un spécialiste italien me parlait de 15 à 20 chiens de protection par éleveur individuel dans les Abruzzes. Il faudra, il faudrait, sécuriser la totalité des clôtures à moutons pour en faire des clôtures à loups. Un investissement colossal.

Notre expérience des Alpes du Sud nous autorise à dire qu’à partir du moment où les loups se fixent en meutes sur des territoires qu’ils connaissent parfaitement, la pression devient difficilement supportable pour les éleveurs.
Les loups sont rusés, adaptables et opportunistes. En vingt ans de protection stricte de l’espèce, on a cassé deux millénaires de comportement furtif et craintif d’une espèce partout pourchassée. Sachant désormais qu’ils ne risquent rien, les loups viennent et reviennent au troupeau. Ils insistent. A force de fréquenter les chiens de protection, ils en arrivent à se familiariser avec eux. Plus les troupeaux sont protégés la nuit, plus les attaques se produisent le jour, prélevant discrètement quelques bêtes tout au long de la saison dans ces mosaïques de
prairies, landes et sous-bois qui composent nos pâturages. Désormais, les loups attaquent aussi en présence du berger, ou en lisière d’un village.

Sans titre

En surprotégeant les loups, on a dévalué les moyens de protection et nous n’avons pas de plan B.

Alors oui, l’Etat a pris conscience de l’ampleur du problème. Le mot catastrophe fait partie
désormais du vocabulaire de certains responsables administratifs. Ces deux dernières années,
les possibilités de tirs mises en place à titre dérogatoire depuis plus de dix ans ont permis
réellement de prélever quelques individus. C’est 2 % de la population de loups qui ont été
ainsi tirés en 2013-2014, et 6 % en 2014-2015. Un premier pas vers une régulation, bien tard,
trop tard peut-être. Parce qu’il ne s’agit plus d’entretenir un comportement d’évitement des
activités humaines chez des loups sauvages, mais de le re-fabriquer de toute pièce chez des
loups qui se sont habitués à faire ce qu’ils voulaient. Loups sans gêne comme le disent les
Américains.

Des problèmes nouveaux apparaissent ou prennent de l’ampleur. L’impact sur l’élevage bovin
au pâturage tout d’abord. Dans les prairies bocagères de montagne, les loups attaquent
désormais des veaux de 150 kg.

L’impact sur les animaux de compagnie de l’espace rural et périurbain ensuite. De plus en
plus, la prédation touchera l’animal familier dans le pré ou dans le jardin, le poney, le cheval,
le chien.
L’implantation de meutes de loups dans nos paysages n’est plus seulement un problème pour
l’élevage. D’ores et déjà, la multiplication des chiens de protection a changé le rapport à
l’espace pour ceux qui apprécient la montagne. Face à la multiplication des tensions et des
conflits, les nécessaires panneaux d’avertissement et les dépliants d’information risquent de
ne pas suffire à pérenniser longtemps le caractère attractif de la montagne. Peut-être même
sont-ils vecteurs d’inquiétude. Sans doute, les loups attireront-ils un public spécifique
demandeur d’une nature plus sauvage. Sûrement, les patous décourageront un public familial
amateur de promenades.
Nous avons aussi appris une bien étrange nouvelle à la fin de l’année 2014. Et nous l’avons
appris de la façon la plus officielle qui soit, puisque c’est le Comité d’application de la
Convention de Berne au sein du Conseil de l’Europe qui a relayé les recommandations d’un
programme scientifique italien intitulé Ibriwolf en demandant l’application du statut de
protection stricte au loup hybride. Oui, vous avez bien entendu. Le loup hybride n’est pas le
fantasme de quelques éleveurs malintentionnés, mais une réalité qui est révélée par les
responsables européens au plus haut niveau, maintenant que l’avenir de l’espèce est assuré.
De quoi s’agit-il ? Dans les années 1960-1970, il ne subsistait dans le Sud de l’Italie que
quelques dizaines de loups qui fréquentaient des territoires où étaient présents, nous dit-on,
des dizaines de milliers de chiens errants. Inévitablement, des croisements nombreux se sont
produits à cette époque. Des croisements qui sont devenus très difficiles à détecter, puisqu’au
fil des générations le mélange des gènes est venu s’inscrire au plus profond du noyau de la
cellule. Les programmes italiens les plus récents détectent ainsi un taux d’hybridation variant
de 10 à 40 %, et expliquent que ce n’est qu’une partie de la réalité. Pour dire les choses plus
simplement, cette hybridation étant antérieure à l’établissement de la carte génétique du loup
de souche italien, il semble bien que ce qu’on décrit comme un loup italien soit déjà un loup
susceptible d’être hybridé. Lorsque ce loup est passé en France, il a bien évidemment
transporté ses gènes avec lui.

Alors, la question n’est pas, ou pas seulement, de repérer tel ou tel loup qui serait un hybride
de première génération et de l’éliminer pour assurer la pureté génétique de l’espèce. Le
problème est qu’il n’est même pas certain que la détresse endurée par les éleveurs serve à
protéger un véritable loup de caractère sauvage qui représenterait une haute contribution à la
biodiversité. Le problème est que l’on peut se demander pourquoi il faut faire autant d’efforts
tellement improductifs si l’on ne sait même pas ce que l’on protège. C’est la légitimité même
de la protection du loup au titre de la biodiversité sur laquelle nous sommes en droit de nous
interroger. Enfin, le problème est tout autant le manque d’informations chez nous sur cette
réalité connue depuis plus de vingt ans, révélée au grand jour par les scientifiques italiens et le
Conseil de l’Europe, mais qui officiellement n’est pas d’actualité sur le territoire français.
Loup sans gêne, avec un accent circonflexe, disions-nous. Loup sans gènes, avec un accent
grave, me permettrai-je d’ajouter en guise d’interrogation. »
« 

Gilbert

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