LMA: l’amendement loup rejeté

Lors de l’examen du projet de la loi de modernisation agricole, adopté par le sénat, le débat sur les prédations  du loup dans les alpages est revenu dans l’hémicycle via l’amendement n°117. Cet amendement, présenté par MM. Bernard-Reymond, Bailly, Beaumont, Bécot et Bizet, Mmes Bout et Bruguière, MM. Carle, Cazalet, Chauveau et Cointat, Mme B. Dupont, MM. Etienne, Ferrand et B. Fournier, Mmes G. Gautier et Giudicelli, MM. Grignon, Lardeux, Leclerc, Legendre, du Luart, Milon et Pinton et Mme Rozier, est ainsi libellé :

Après l’article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 411–4 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 411-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 411-4-1. – À titre expérimental pendant une période de trois ans, les bergers, titulaires d’un permis de chasse, sont autorisés à abattre les loups dans les limites des territoires consacrés à l’élevage. »

M. Gérard Bailly. Le sujet dont il est question dans cet amendement de notre collègue Bernard Reymond, que j’ai cosigné des deux mains – pour ne pas dire des trois mains, tant je suis convaincu de son intérêt –, a été évoqué à plusieurs reprises dans cette enceinte, et encore hier.

Mes chers collègues, je tiens à votre disposition un article publié dans l’exemplaire du mois de mars de ce journal de montagne (M. Gérard Bailly brandit un journal). Il reproduit un compteur qui, d’un côté, marque 3 133, soit le nombre d’agneaux et de brebis qui ont été égorgés par les loups en 2009, alors que l’autre côté reste bloqué sur 1, c’est-à-dire le nombre de loups tués au cours de cette même année.

Cet article nous apprend aussi que, le 18 février dernier, à Gap, entre 1 200 et 1 500 personnes ont manifesté pour soutenir un chasseur poursuivi pour avoir tué un loup. Cette situation ne peut plus durer. Il n’est plus possible de laisser les loups, désormais très nombreux, causer de tels dommages aux activités pastorales. La lutte est devenue par trop inégale.

M. Pierre Bernard-Reymond, qui ne pouvait être présent cet après-midi, m’a chargé de vous transmettre un message, auquel je souscris sans réserve, sur ce qui est devenu un problème de société.

« Quelle conception se fait-on du travail des hommes ? Quel respect leur accorde-t-on ? Quelles relations notre nation est-elle capable d’établir entre les cultures et les modes de vie différents qui s’expriment sur notre territoire ? Peut-on prendre le risque de voir s’agrandir encore la fracture entre le monde urbain et le monde rural ?

« Vous le savez, monsieur le ministre, la présence toujours plus importante de loups dans les alpages confronte les éleveurs d’ovins et, parfois, de bovins à une situation de plus en plus insupportable. Les attaques de loups occasionnent de nombreuses pertes, obligent les éleveurs à adopter des modes de garde très contraignants, tandis qu’ils s’inquiètent du danger potentiel que représentent les chiens de garde spécialisés pour les touristes qui fréquentent les alpages.

« Il faut avoir été le témoin de la détresse d’une famille d’éleveurs dont le troupeau vient d’être décimé par les loups pour comprendre qu’au-delà d’un grave problème économique se posent des questions de dignité, d’affectivité, d’incompréhension, de révolte.

« Celui ou celle qui a choisi cette profession comme gagne-pain, mais aussi comme mode de vie, qui passe ses journées, parfois ses nuits, au moment de l’agnelage, au milieu du troupeau, qui suit chaque bête de la naissance à la mort, ne peut pas comprendre que lui soit refusé un droit systématique à la légitime défense.

« Comment, par ailleurs, parler de bien-être animal et accepter par avance qu’en moins d’une heure, des dizaines de moutons – 3 133 en une année – puissent être égorgées par des loups ?  Il faut n’avoir vu le loup que sur les pages glacées des magazines ou en faire une aimable conversation de salon dans les dîners en ville pour ne pas rechercher un nouvel équilibre. Monsieur le ministre, si la présence du loup est acceptable, d’une façon générale, sur le territoire national, sa cohabitation dans les alpages avec l’agneau, voire avec le veau, est impossible.

« Si la situation qui prévaut aujourd’hui devait perdurer, on assisterait progressivement à l’abandon de l’élevage en montagne, et donc à la désertification des alpages. Or le maintien d’une population aussi nombreuse que possible en montagne est un objectif essentiel en matière d’aménagement et d’entretien du territoire. »

Il ne s’agit-là que d’une partie du texte de M. Bernard-Reymond, mais je ne puis vous en donner une lecture intégrale, au risque de dépasser mon temps de parole. Cet amendement vise à autoriser les pasteurs titulaires d’un permis de chasse à tirer les loups dans les limites des territoires consacrés à l’élevage afin de préserver celui-ci.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard César, rapporteur. Comme chaque fois que l’occasion se présente, Gérard Bailly aborde avec une compétence reconnue les difficultés liées à la présence du loup dans certaines régions de France.

Toutefois, n’allons pas crier au loup ! (Sourires.) En vertu de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels, ainsi que de la faune et de la flore sauvages, le loup est une espèce strictement protégée, et, aux termes son article 16, ce n’est qu’à des conditions très strictes que l’on peut déroger à ce système de protection qui interdit sa destruction.

Ainsi, l’opération de destruction doit être justifiée au regard d’un des motifs limitativement visés par la directive. Pour les loups, il s’agit de la protection des élevages, au moyen de tirs de défense.

Par ailleurs, il ne doit pas y avoir d’autres solutions satisfaisantes de protection des troupeaux, telles que le gardiennage, l’usage de chiens de protection, les célèbres patous – M. Didier Guillaume y a déjà fait référence à l’occasion de la présentation de son amendement sur le pastoralisme –, la pose de clôtures ou l’effarouchement.

Enfin, les opérations ne doivent pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de loups. À cette fin, il convient de déterminer chaque année un seuil maximal d’animaux pouvant être détruits sans nuire à l’état de conservation. Tous les ans, un arrêté interministériel fixe les conditions et les limites dans lesquelles des dérogations à l’interdiction de destruction des loups peuvent être accordées par les préfets.

En définitive, en ne tenant pas compte des conditions de dérogation à la protection stricte du loup, cet amendement nous exposerait à un contentieux communautaire et la France risquerait fort d’être condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne.

Sauvegarder le bien-être animal, c’est trouver un juste équilibre entre la protection des loups et la préservation des troupeaux de brebis qui, effarouchés par les loups, peuvent se jeter dans des précipices.

En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, pour au moins deux raisons.

Tout d’abord, sur le plan international, la directive européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992, tout comme la convention de Berne, font du loup une espèce strictement et rigoureusement protégée. Donner à tout pasteur, comme vous le suggérez, le droit de tirer à vue sur le premier loup qui approcherait de son troupeau serait en contradiction directe ces deux textes.

Ensuite, à l’échelle nationale, nous avons déjà encadré de manière relativement efficace la cohabitation entre le loup et le pastoralisme en instituant des dispositifs de protection: clôtures, effarouchement, recours à des chiens de berger, comme vient de le rappeler M. le rapporteur.

En outre, sur l’initiative de Didier Guillaume, le Sénat a adopté, à l’unanimité de ses membres, un amendement tendant à renforcer encore les possibilités de vérifier l’efficacité des dispositifs destinés à effrayer les loups.

Le retour des loups constitue une réelle préoccupation dans les Alpes du Sud, notamment dans la région de Gap, et dans les Pyrénées. Je considère toutefois que notre législation, qui vient d’être renforcée par l’adoption de l’amendement de M. Guillaume, nous permet de répondre aux inquiétudes légitimes des bergers tout en nous conformant aux règlements communautaires.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Je voterai cet amendement, dont je suis cosignataire.

Le Sénat a adopté, hier, un amendement intéressant qui relance la réflexion sur la cohabitation avec le loup. Nous devons toutefois donner un signal fort à tous les éleveurs, de brebis ou de bovins, qui sont très inquiets. Moi, j’aime beaucoup le loup, mais je lui préfère le mouton… ou le petit chaperon rouge ! (Sourires.)

Si nous avons aujourd’hui des difficultés, c’est non parce que nous avons protégé les loups – il n’y en avait plus –, mais parce que nous les avons réintroduits. Et maintenant, il faudrait absolument les protéger ! Mais qu’on les lâche dans les rues de Bruxelles, et l’on verra si la directive reste en l’état ! (Sourires.)

M. Charles Revet. Chiche !

M. Gérard César, rapporteur. Et pourquoi pas à Bercy ? (Rires.)

M. Christian Cointat. Il faut penser aux bergers qui vivent dans la crainte d’une attaque de leurs troupeaux. Oui, il faut protéger le loup, mais seulement lorsqu’il ne constitue pas un danger pour les populations ni pour les élevages de montagne !

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.

M. Gérard Bailly. J’ai écouté avec attention M. le rapporteur et M. le ministre et je connais bien évidemment la législation européenne sur la protection du loup. Voilà de nombreuses années que nous parlons des relations difficiles entre le loup et les bergers, mais rien ne bouge pour autant. L’année dernière, un seul loup a été abattu – si le chiffre n’est pas officiel, corrigez-moi – alors que 3 133 brebis ont été tuées par des loups.

Voilà deux ans, M. François Fortassin et moi-même avons rédigé un rapport d’information sur l’élevage ovin. Nous avions alors rencontré de nombreux bergers : certains pleuraient ; d’autres voulaient abandonner le métier.

N’est-ce pas le rôle du Parlement de faire en sorte que ce débat soit enfin rouvert à Bruxelles ?

M. Pierre Bernard-Reymond m’a demandé de maintenir l’amendement, même s’il faisait l’objet d’un avis défavorable de la commission et du Gouvernement. Si le Sénat venait à l’adopter, la discussion pourrait se poursuivre à l’Assemblée nationale. En tout état de cause, il convient de relancer le débat sur le plan international.

M. Christian Cointat. Très bien !

M. le président. M. Cointat, l’on me dit qu’il y a déjà beaucoup de loups dans les rues de Bruxelles ! (Sourires.)

Je mets aux voix l’amendement n° 117. (L’amendement n’est pas adopté.)

Gilbert

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