Des bois de caractère, preuves à l’appui

La Chartreuse était en bonne place au Salon européen du Bois et de l’habitat durable. Impossible de ne pas voir le stand, où un magnifique tronc d’épicéa avait été installé comme mât autant que comme totem. Un totem dont on ne connaissait pas encore vraiment le caractère profond ni la valeur réelle. Aujourd’hui, c’est fait. Mais il aura fallu le sonder, l’examiner sous tous les angles, le soumettre à des tests innombrables.

salondubois.jpg

Un épicéa écorcé, comme un totem, au centre du stand du PNR Chartreuse

Au cours d’une conférence consacrée à “la qualité mécanique et au suivi de traçabilité”, Sylvain Ougier, technicien CRPF et animateur du Pôle bois forêt du PNR Chartreuse, a retracé en détail la longue étude engagée par le Parc pour disposer d’un véritable classement des bois de Chartreuse selon leur résistance et, dans le même temps se conformer au marquage CE. Une démarche volontariste, coûteuse, dans un contexte où la France accuse un certain retard par rapport aux autres pays d’Europe.

Jusqu’à présent, le classement des bois résineux de Chartreuse n’obéissait qu’à des critères esthétiques, selon la méthode visuelle (norme EN 1310). Une méthode qui associe à chacune des classes de résistance des caractéristiques observables et mesurables: largeur des cernes d’accroissement, diamètre des noeuds, distance entre les noeuds, fentes, poches de résine. On a ainsi un classement qui va de 0 à 4:

choix 0 ( menuiserie, moulures), choix 0A ( ameublement, moulures), choix 1 (menuiserie, charpente choisie), choix 2 ( charpente traditionnelle), choix 3 (emballage, palettes), choix 4 (coffrage).

Mais pour les élus du Parc et les acteurs de la forêt de Chartreuse, désireux de valoriser les propriétés mécaniques de leurs bois, il est vite apparu indispensable de procéder à des mesures physiques et de comparer les résultats à ceux de la méthode visuelle. Une étude de caractérisation structurelle des bois de Chartreuse a été commandée par le PNR à Créabois, association interprofessionnelle du bois dans l’Isère. Cette étude rejoint l’objectif d’attribution aux bois de Chartreuse de la première AOC des produits forestiers. Le dossier, déposé en septembre 2005, est en bonne voie. Une délégation de l’INAO est venue visiter la forêt en février dernier. Les plus optimistes espèrent un aboutissement dans les deux ans qui viennent.

sylvain-ougier.jpg

Sylvain Ougier, cheville ouvrière de cette opération

Les résultats des premières mesures ont mis en évidence les limites de la méthode visuelle:”C’est en effet une méthode qui donne des résultats moyens, remarque Sylvain Ougier. L’examen physique a modifié nos conceptions car on s’est aperçu que nos bois étaient mécaniquement plus performants qu’on ne le pensait. On a également pu constater que l’épicéa n’est que légèrement supérieur au sapin, contrairement à ce que pensent bon nombre de charpentiers, notamment, qui placent le premier très loin devant le second”.

Une longue campagne de mesures a donc été mise en chantier, Créabois étant maître d’oeuvre, et s’est étalée sur deux ans, procédant à une comparaison systématique entre les différentes méthodes. Petit résumé de la campagne de tests:

Etape 1: méthode “Sylvatest” à ultrasons permettant de mesurer la résistance en fonction de la vitesse de propagation d’un signal sonore

“Nous avons fait des mesures depuis l’arbre sur pied jusqu’au sciage après avoir déterminé 34 parcelles représentatives du massif et identifiées en détail (exposition, altitude, etc). Nous avons procédé au marquage aléatoire de 24 arbres sur chaque placette et en avons abattu 6 sur chaque placette. D’où un total de 204 grumes de 16m. Un gros travail pour lequel les bûcherons ont joué le jeu, l’intérêt qu’ils accordaient à cette entreprise étant plus fort que les difficultés d’exécution”.

Les résultats, après croisement d’un nombre considérable de données: une grande homogénéité, de l’arbre jusqu’au sciage. Homogénéité de l’essence, homogénéité du territoire (pas de différence entre Isère et Savoie, forêt publique ou forêt privée).

Etape 2: méthode BING. Analyse vibratoire d’un sciage soumis à un choc (un coup de marteau, par exemple)

Etape 3: tout le matériel est transporté en Belgique pour passer un examen à la Triomatic, machine à ultrasons développée par le Dr Jean-Luc Sandoz, directeur du bureau d’ingénieur Concept bois technologie, dépositaire de près de quinze brevets techniques.

Résultats positifs: confirmation de la haute performance des bois de Chartreuse.

Etape 4: méthode mécanique de mesure de la flèche sous une charge imposée. Les 204 échantillons sont amenés au point de rupture. Leur résistance est excellente. Le pourcentage de rejet est de 13% ce qui est faible pour un échantillon de bois aléatoire.

Etape 5: le matériel repart à Bordeaux, dans les labos du CTBA (Centre technique du bois et de l’ameublement devenu FCBA depuis juin 2007) pour un bilan complet, chiffré et circonstancié. Le CTBA n’a pas encore livré ses résultats définitifs. Mais on connaît déjà quelques conclusions édifiantes et pour le moins satisfaisantes pour les forestiers Chartroussins: le classement selon la méthode visuelle a permis d’identifier une proportion de 20% de bois de valeur mécanique C30 (haute performance-lamellé collé). Le classement Sylvatest fait passer cette proportion à 60%! Les essais destructifs sur les mêmes échantillons ont révélé une proportion de 80% de bois de valeur mécanique C30.


Pour les experts, deux conclusions s’imposent, qui étaient loin d’être une évidence pour tous les montagnards de Chartreuse:

1/ le potentiel des résineux de montagne est très élevé (la différence entre épicéa et sapin est infime)

2/ la méthode visuelle de classement structure est inadaptée s’agissant des bois d’altitude à forte nodosité; elle pénalise très fortement les bois de montagne présentant des irrégularités d’aspect

Et pour Sylvain Ougier, l’homme de terrain: “Il nous faut une machine de classement automatique en Chartreuse. Nous sommes ouverts à toute proposition”.

Une question, cependant: où la mettre cette machine? La Chartreuse, contrairement au sud Isère (lire nos articles sur le sujet) ne dispose pas encore d’une plateforme bois.

panneau-bois.jpg

Gilbert

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Revenir en haut de page