L’origine des conflits en milieu rural et périurbain

Les espaces ruraux et périurbains français sont l’objet de conflits nombreux, de plus en plus portés devant les tribunaux. Des chercheurs de l’INRA les décryptent. Premier enseignement, les conflits provoqués par une activité agricole restent peu nombreux. En revanche, nombre de conflits sont directement liés à l’usage des terres agricoles. Autre constat, près de 70 % des conflits sont en fait « anticipés » et visent avant tout à empêcher la construction d’une infrastructure ou l’installation d’une activité nouvelle.

Les sciences humaines et sociales s’intéressent de longue date aux conflits, géopolitiques, sociaux ou interindividuels. Pourtant, peu de travaux portent sur les conflits du monde agricole et sur les espaces ruraux. André Torre, économiste de l’INRA, a initié il y a quatre ans des recherches pluridisciplinaires pour comprendre leur rôle dans la gouvernance des territoires locaux et mieux les gérer.

Partant de deux grandes inconnues « Quels sont réellement ces conflits ? » et « Faut-il tous les résoudre ? », les chercheurs de l’INRA ont dû avant tout mettre en place un programme permanent de constitution d’une base de données, car les données nationales manquent. Les chercheurs travaillent essentiellement à partir de trois sources : les décisions de justice rendues par les cours de justice (Base Lamyline) ; les conflits relatés par la presse quotidienne régionale et les « enquêtes à dire d’experts », des entretiens menés auprès de représentants de l’Etat, d’élus et de gestionnaires locaux, etc.
Les conflits provoqués par une activité agricole sont peu nombreux

Premier enseignement, après étude de dix zones représentatives de la diversité des paysages ruraux et périurbains français : les conflits provoqués par une activité agricole, comme les nuisances sonores d’un élevage ou la pollution des eaux, restent peu nombreux, bien que souvent médiatisés. En revanche, nombre de conflits sont directement liés à l’usage des terres agricoles.

L’estuaire de la Seine compte ainsi de multiples conflits concernant l’extension du port de Rouen, décidée par l’Etat, mais très peu sur les questions de pollution agricole par exemple. Les conflits portent en effet majoritairement sur les changements de « zonage » de ces territoires, déjà découpés en zones protégées : zone d’intérêt économique, zone d’habitat protégé d’oiseaux, zones Natura 2000, etc., sur la pression industrielle et la gestion des ressources naturelles, ainsi que sur les aménagements routiers et d’infrastructures à conduire.

D’une façon générale, parmi les neuf principaux usages des espaces ruraux et périurbains, dont les activités agricoles, répertoriés par les chercheurs, trois sont aujourd’hui principalement objets de conflits et de contestations : les usages industriels, résidentiels et de protection de la nature.

Cette première cartographie des conflits, saisis à la lumière des différents usages de l’espace, a cependant conduit les chercheurs à préférer une autre grille d’analyse, celle des différents usagers, parties prenantes du conflit. Cette vision leur permet d’éviter un amalgame entre des types d’attitude et des catégories socioprofessionnelles.
La majorité des conflits sont « anticipés »

Autre constat, près de 70 % des conflits sont en fait « anticipés ». Ils ne sont pas l’aboutissement de difficiles négociations, mais visent avant tout à empêcher la construction d’éoliennes, de résidences, d’infrastructures industrielles ou encore de décharges, comme le montre une étude en cours en Ile de France, région où les activités agricoles dominent en surface. Ces conflits surgissent généralement lors des procédures légales de « déclaration d’utilité » ou d’« enquête » publique, avant aménagement d’un territoire.
Les chercheurs expliquent que le conflit ne représente pas un échec, mais une modalité de coordination et d’échange parmi d’autres. Témoin d’une résistance au changement et facteur d’expression des désaccords, il peut ne pas trouver d’issue à proprement parler mais constituer néanmoins la matrice des arrangements et des projets futurs.

Références :
Conflits et tensions autour des usages de l’espace dans les territoires ruraux et périurbains. Le cas de six zones géographiques françaises, Revue d’économie régionale et urbaine, 2006, n°3, pp. 411-450
Kirat Th., Torre A. (eds), 2006 et 2007, Conflits d’usages et dynamiques spatiales les antagonismes dans l’occupation des espaces périurbains et ruraux (I et II), Géographie, Economie, Société, Vol. 8, n°3 et Vol. 9, n°2.

Gilbert

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