Rétrogradé agriculteur à titre secondaire par l’administration

Les rapports entre  les agriculteurs et leur administration de tutelle ne sont pas toujours faciles. Nous avons vu dans un précédent article l’aide précieuse que pouvait apporter le CAJ (Comité d’action juridique) pour favoriser l’accès au droit en milieu rural à travers des actions d’information, d’orientation, de formation .

Une aide qui vaut bien sûr pour tous ceux qui vivent et travaillent en milieu rural et qui sont confrontés à une situation de litige ou de conflit avec un propriétaire, une collectivité, une administration.

Dossier en main, Vincent Leras expose la série d'actions qu'il a dû engager, avec l'aide du CAJ, pour faire valoir son bon droit
Dossier en main, Vincent Leras expose la série d'actions qu'il a dû engager, avec l'aide du CAJ, pour faire valoir son bon droit

Après deux années de lutte acharnée pour faire valoir son bon droit, Vincent Leras, jeune agriculteur installé à Monestier-du-Percy, dans le Trièves, a obtenu gain de cause. Il a tenu à le faire savoir, mardi 16 mars, en marge de l’AG de la Confédération paysanne dont il fait partie. Un syndicat qui met au rang des priorités l’accompagnement des porteurs de projets dans leur démarche d’installation, comme le souligne Etienne Mary, référent Installation du syndicat:

« Cet accompagnement se fait d’un bout à l’autre du parcours, en favorisant l’installation progressive, éventuellement pluriactive, en soutenant tout type de projet agricole y compris sur de petites structures. Le problème est que l’administration a tendance à écarter les porteurs de projets considérés comme atypiques, notamment ceux qui se font sur des petites surfaces et pratiquent la vente directe. Nous estimons que ces projets ont leur place et nous les soutenons autant que possible, y compris devant les tribunaux ».

Deux ans de procédures

En ce qui concerne Vincent Leras, installé en 2004 sur une douzaine d’hectares (maraîchage + élevage caprin) avec DJA, les ennuis sont arrivés sous la forme d’une décision  préfectorale datée du 20 décembre 2007 modifiant la décision du 23 février 2004 et stipulant « le passage de la qualité d’agriculteur à titre principal à la qualité d’agriculteur à titre secondaire ». Une décision qui, par voie de conséquence, réduisait de moitié la dotation attribuée et exigeait le remboursement de la moitié « indûment perçue ».

On imagine la réaction du jeune agriculteur qui n’a pas ménagé ses efforts pour son installation et dont le projet est d’ailleurs jugé recevable « au titre de l’article R343-6 du Code rural au vu des résultats comptables présentés au terme du 3e exercice ».

« Le problème est qu’il n’y a jamais eu de visite de qui que ce soit, explique Vincent Leras, un dossier volumineux en main. J’ai donc pris ma plume en janvier 2008 pour expliquer concrètement ma situation par courrier. Cela s’appelle un recours gracieux. Pas de réponse. Même courrier au ministère. Il me répond qu’il se conforme à la décision du préfet de l’Isère et de la DDAF. Que faire?»

Seul à la barre du tribunal

L’aide du CAJ a permis au jeune agriculteur de ne pas baisser les bras, de poursuivre l’action pour faire valoir ses droits.

« En mai 2008, nous avons fait un recours au tribunal administratif, en référé. Je me suis expliqué à la barre.(NDLR:  Il n’y a pas d’avocat dans ce type d’affaire).  Notre requête a été prise en compte. En juin, le tribunal décide de suspendre l’arrêté préfectoral. Le 22 décembre 2009, le tribunal administratif rendait sa décision en audience publique, annulant la décision  du préfet de l’Isère en date du 20 décembre 2007. Nous avons appris en février dernier que le préfet ne faisait pas appel de cette décision. C’est ce qui nous a décidé à vous en parler aujourd’hui».

On lit notamment dans les attendus de cette décision n° 0802067 du TA (5e Chambre) ces remarques édifiantes :

–       « qu’il est constant que la décision du préfet de l’Isère a été prise sans mise en demeure préalable de M.X qui est dès lors fondé à soutenir qu’elle a été prise en méconnaissance des dispositions précitées »

–       le préfet de l’Isère n’a pas suffisamment motivé sa décision au sens des dispositions de l’article 3 de la loi du 11 juillet 1979 susvisée ».

–       « qu’il ressort des pièces du dossier que si l’exercice 2004 a bien eu une durée de huit mois, ce premier exercice n’est pas largement représentatif d’un cycle de production dès lors que M.X a dû pendant cette période procéder à des semis et plantations et à des investissements qui n’ont pas pu produire de revenus pendant cet exercice ; qu’il s’ensuit que M.X est fondé à soutenir que le préfet de l’Isère ne pouvait sans erreur d’appréciation retenir l’année 2004 pour la période concernée par l’instruction de dossier au titre du premier exercice ».

Absence de mise en demeure, décision insuffisamment motivée, erreur d’appréciation. Ces mots apparaissent donc dans le texte de la décision du TA.

Vincent Leras, au terme de deux années qui ont laissé des traces, est donc à nouveau considéré comme agriculteur à titre principal et n’aura pas à rembourser quoi que ce soit. Un grand soulagement. Une victoire.

Pour la Confédération paysanne, ce cas est révélateur « d’une administration dont les préoccupations budgétaires semblent être plus importantes que les enjeux liés à l’installation agricole et au maintien de l’emploi sur le territoire ».

Le cas de Vincent Leras n’est pas unique, loin de là. La Confédération paysanne fait état, notamment, de plusieurs cas de déchéances d’aides.

Stéphanie Pointurier, jeune agricultrice de Montseveroux, en Isère, a eu également à prouver, à la barre du tribunal administratif, qu’elle était bien agricultrice à temps plein.

« Je me souviens qu’après avoir reçu ce courrier, raconte t-elle, j’ai passé la nuit dans l’étable à  aider une vache à mettre bas. J’étais une agricultrice à titre secondaire qui travaillait le jour et la nuit ! Mais j’étais la seule à le savoir.».

Ces démêlés juridiques, épuisants, nécessitent un soutien solide. L’action des CAJ a été précieuse pour ces jeunes agriculteurs aux prises avec leur administration de tutelle. Mais au-delà de ces procédures, c’est à une meilleure connaissance du droit en milieu rural que travaillent ces associations. L’information, la formation sont les meilleures façons de prévenir les difficultés et les conflits.

Gilbert

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