Le robinet, le canon, la CLE (II)

La production de neige de culture a t-elle un impact sur la ressource en eau et sur l’environnement? La commission locale de l’eau (CLE) Drac Romanche, qui a enquêté  dans les stations de sports d’hiver du sillon alpin, se lance dans une mission délicate visant à trouver un modus vivendi entre la production de neige de culture, en pleine expansion, l’alimentation en eau potable, l’irrigation, la préservation des milieux naturels.
Deuxième volet de notre enquête. Etat des lieux. Ce qu’en pensent les environnementalistes et les exploitants de domaines skiables.

Les chutes de neige étant en diminution depuis une quarantaine d’années, nombreuses sont les stations françaises qui se sont équipées d’enneigeurs, pour sécuriser la durée de leur saison. La neige de culture est  devenue à la fois un enjeu stratégique et un argument commercial, les deux étant liés. C’est l’activité économique des stations de sports d’hiver et des vallées qui est en jeu. Grâce à cette neige, des milliers d’emplois  directs sont sécurisés chez les opérateurs de domaines skiables mais aussi dans le secteur de l’hébergement, de la restauration et des commerces des stations. Un nombre au moins aussi important d’emplois indirects est également lié au fonctionnement des stations. Nous verrons que les défenseurs de l’environnement, conscients de ces réalités économiques, s’opposent néanmoins à la course au suréquipement.
Il y a, comme on peut le supposer, un affrontement assez marqué entre la défense des intérêts économiques et la défense des intérêts écologiques. Le schéma de conciliation engagé par la CLE Drac-Romanche, dans le cadre du SAGE  (schéma  d’aménagement et de gestion des eaux) adopté le 27 mars 2008,  n’en est que plus intéressant à suivre. Cette mission pilote s’est donné dix à douze mois pour convaincre .

Où pompe t-on l’eau ?

L’eau utilisée est directement prélevée dans le milieu naturel dans 30% des cas (torrents et lacs, plus rarement nappes souterraines), ou provient du réseau d’eau potable (20%) ou de  retenues d’altitude (50%) qui sont elles-mêmes alimentées soit par prélèvement en cours d’eau soit depuis le réseau d’eau potable. Ces dernières présentent l’avantage de décaler
dans le temps le prélèvement et l’utilisation de la ressource, et ainsi de limiter les prélèvements d’eau destinée à la neige de culture, en période de faibles débits d’étiage.

Les défenseurs de l’environnement : « Arrêter la course au suréquipement »

La Fédération nationale de l’environnement (FNE) souligne, dans sa publication de juin 2004,  les conséquences que peuvent induire les quantités d’eau prélevées pour l’alimentation des enneigeurs :
– le risque pour la faune et la flore lorsque le débit des rivières et torrents de montagne devient trop bas,
– la dégradation des paysages induite par les bassins de rétention artificiels,
– la pression sur les zones humides et le recours aux réserves d’eau destinées à l’alimentation en eau potable.
Elle rappelle aussi les nuisances sonores pour les résidents comme pour la faune locale, les perturbations du cycle naturel de la végétation et la pollution potentielle des sols, notamment avec l’utilisation d’additifs.
Soucieuse des conséquences sur l’hydrologie à l’aval des zones de montagne et des conflits d’usage qui pourraient se généraliser, la FNE appelle les autorités compétentes à arrêter la course au suréquipement.
Le réchauffement du climat pose aussi la question de la pertinence des équipements en dessous d’une certaine altitude.

Vincent Neyrinck (Mountain Wilderness) écrivait fin 2002 dans la bulletin 54 de l’association : « L’alimentation des canons à neige nécessite énormément d’eau, au point que cela peut amener à poser des problèmes d’approvisionnement en eau potable : en hiver, l’eau, prisonnière du gel, est rare en montagne. Paradoxalement, c’est dans ces périodes de déficit de la ressource que l’eau est sollicitée pour les canons à neige. Début 2002, on est passé très près de la pénurie dans les Hautes-Alpes, la station des Orres se faisant même taper sur les doigts pour avoir puisé dans sa réserve d’eau potable… »

CIPRA France, la FFCAM, la FRAPNA et Mountain Wilderness France demandent que les principes suivants devant régir l’enneigement artificiel soient retenus :
– intégrer le programme d’enneigement artificiel à chaque demande d’Unité Touristique Nouvelle (UTN), que ce soit au niveau Massif ou départements.
– soumettre les équipements « canons à neige » aux commissions UTN avec des seuils (techniques, financiers) à définir (exemple : surface de pistes terrassées ne devant pas dépasser une certaine proportion de la surface totale de pistes ; limite du volume des retenues).
– interdire les constructions de retenues sur des zones à intérêt naturel, les zones de ZNIEFF, et notamment les zones humides, conformément aux mesures réglementaires de la loi sur l’eau pour protéger ces milieux sensibles.
– conditionner l’autorisation de création de réserves collinaires à leur parfaite intégration au site.
– mettre à l’étude un SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) dès que le projet de retenue atteint 100 000m3.
– interdire le prélèvement direct sur le réseau d’eau potable à l’échéance 2012.
– interdire définitivement l’utilisation d’adjuvants dans l’eau.
– interdire le prélèvement d’eau sur torrent dès que le débit naturel passe en dessous d’un seuil calculé à partir du débit d’étiage.
– rechercher l’économie des ressources en eau et en énergie sur l’ensemble du fonctionnement de la station.
La réglementation spécifique que nous demandons devra s’appliquer aux stations déjà équipées qui devront élaborer un programme pluriannuel de retour à un état environnemental plus satisfaisant
et au respect des règles.

Le SNTF : deux fois moins d’eau pour les canons que pour les piscines

Le SNTF (syndicat national des téléphériques de France) qui est  la chambre syndicale des opérateurs de domaines skiables, fait valoir de son côté que les quantités d’eau prélevées sont de l’ordre de 15 millions de m3, soit deux fois moins que l’eau utilisée dans les piscines privées et que cette eau est restituée, intacte et sans aucune pollution, au milieu naturel au printemps (aucun additif n’est utilisé en France).

Le SNTF qui, lors de la saison 2008-2009, a lancé une campagne d’information grand public « afin de rétablir la vérité sur la fabrication et l’utilisation de la neige de culture ainsi que sur  ses effets vertueux à l’échelle de la montagne », souligne également que concernant les prélèvements sur les réseaux d’eau potable, environ 15% de l’eau prélevée pour la neige de culture en provient mais elle est dans sa grande majorité prélevée au niveau des trop-pleins de réservoirs ce qui rend le prélèvement sans incidence sur le potentiel d’eau potable à destination des populations.

Le SNTF considère que la problématique du réchauffement climatique, pourrait être sensible à l’échelle du siècle, mais souligne que le retour sur investissement d’un réseau d’enneigement étant de l’ordre de 12 ans, il est sans rapport avec un phénomène planétaire. Il souligne en revanche que “ces investissements permettent de garantir plus de 100.000 emplois directs en zone de montagne et au moins autant d’emplois indirects. C’est donc une partie importante de la présence humaine dans les zones de montagne qui est directement concernée. Il y a là un enjeu majeur de développement durable”.

Dix millions de m3 consommés pour la saison 1999-2000

Selon Elise Dugleux (Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse) à Lyon, le ratio de consommation « théorique » considéré dans l’activité de production de neige de culture est de 1 m3 d’eau pour 2 m3 de neige fabriquée.
La consommation d’eau observée sur la saison 1999-2000, pour les 119 stations équipées, est de 10 millions de m3. (2)

Ce volume représente 19% du volume annuel prélevé par les collectivités correspondant à l’échantillon étudié, pour l’usage eau potable. C’est aussi l’équivalent de la consommation annuelle d’une ville de 170 000 habitants, en considérant un ratio de consommation de 60 m3 par habitant.
Par ailleurs, si on s’intéresse à la consommation d’eau rapportée à l’hectare enneigé, les données disponibles conduisent à un ratio de  4 000 m3 à l’hectare.
On peut alors la comparer à ce qui est constaté pour d’autres usages, l’irrigation par exemple, à titre de référence, on citera le ratio observé pour l’irrigation du maïs en Isère : environ 1700 m3 à l’hectare.

En 2002, Elise Dugleux estimait qu’il n’y avait pas de quoi s’alarmer quant à la ressource en eau, tout en appelant à rester vigilant :« Si la situation actuelle ne paraît pas trop alarmante du point de vue de la ressource en eau, il faut signaler qu’elle pourrait le devenir rapidement dans le futur, du fait de la poursuite de l’expansion de l’activité de neige de culture qui est annoncée dans les prochaines années ».
Enfin, compte tenu de l’amélioration constante des performances technologiques pour la fabrication de neige de culture, l’approvisionnement en eau tend à devenir le principal facteur limitant de la production, après les conditions de température.Ceci ne fait donc que renforcer l’inquiétude qui pèse sur les ressources en eau et la nécessité de suivre attentivement l’évolution de la situation ».
En 7 ans, la logistique liée à la production de neige de culture n’a fait que s’accroître dans les stations , même les plus modestes, entraînant une multiplication des conflits d’usages relatifs à l’eau. Compte tenu de l’évolution du climat, l’industrie des sports d’hiver ne peut que poursuivre dans ce sens -le nombre de retenues d’altitude, réalisées ou en projet, est impressionnant- et solliciter toujours davantage la ressource en eau. D’où l’intérêt de la mission de médiation et de conciliation de la CLE.

________________________________

(1) La CLE est une  instance représentative des acteurs du bassin (composition à moitié de représentants des collectivités, un quart de représentants des usagers, et un quart de représentants de l’Etat et de ses établissements publics).
(2) Il faut signaler que ce chiffre repose en partie sur des évaluations dans la mesure où les volumes n’ont pas toujours été communiqués. Dans ces cas, on a appliqué une hauteur moyenne de neige de 80 cm aux surfaces bénéficiant de l’enneigement artificiel (résultat observé sur les données disponibles).

Gilbert

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Revenir en haut de page