L’agriculture de montagne comme le pastoralisme tiennent un rôle de premier plan dans les nouveaux enjeux agri-environnementaux.
Pourtant, avec la crise que traverse actuellement le monde agricole, victime d’une dérégulation du marché, c’est cette économie, cette culture, ces paysages et ces traditions gastronomiques dont l’avenir se trouve hypothéqué. L’après-quotas, annoncé pour 2015, pourrait être fatal à cette agriculture montagnarde qui est une véritable marque de fabrique dans les Alpes.
Le département de l’Isère est attentif à cette situation. Christian Nucci, vice président du G38 chargé de l’Agriculture, avait tiré l’alarme à l’occasion de la foire de Beaucroissant, 790e du nom. Il y a eu ce que l’on a appelé « l’appel de Beaucroissant » pour que vive l’agriculture en Isère et Rhône-Alpes. Un appel qui ne fait que relayer le SOS lancé par les éleveurs d’ici et d’ailleurs (le mouvement est européen), réunis dans une grève du lait aussi inédite que désolante mais à la mesure du désarroi dans lequel se trouve la profession.
Dans le courrier envoyé le 28 juillet dernier à Bruno Le Maire, le tout nouveau ministre de l’Agriculture, Charles Galvin, conseiller général du canton de La Mure, exploitant agricole, et Annette Pellegrin, conseillère générale du canton de Mens, alertaient déjà Bruno Le Maire sur ce point :
« Nous sommes stupéfaits que rien ne soit prévu pour atténuer les conséquences de la suppression de la maîtrise de la production pour les régions de montagne. En effet, cette politique a eu le mérite de maintenir un prix correct et d’éviter la délocalisation de la production, que la contractualisation avec les entreprises ne pourra éviter ; celles-ci devant résister à la concurrence réduisent leur coût de ramassage, la production laitière se concentrera alors sur les bassins laitiers les plus performants ».
Les deux conseillers généraux demandaient au ministre « de ne pas céder au vent de libéralisme qui veut tout mettre en concurrence », estimant que négliger la politique montagne en général et laitière en particulier, c’est d’une certaine façon mettre à mal à l’identité française : « L’alignement sur les pays dont les coûts de production sont les plus bas constitue t-il un avenir motivant pour les Français, producteurs de lait et ouvriers ? Et que restera t-il de la France telle qu’elle est aujourd’hui ? »
Sur l’alpage du Sénépi, lors de la descente des génisses
Une étude prospective récente de l’Institut de l’élevage, signée par Christophe Perrot, Dominique Caillaud et Anne-Charlotte Dockès, intitulée « La France laitière à l’horizon 2015 » estime que le nombre d’exploitations laitières passera de 88 000 en 2007 à 62 000 en 2014, année qui précède la disparition annoncée des quotas. « Ces projections montrent que nous entrons dans une phase de dégradation progressive par rapport aux années 2000, avec un déficit en jeunes chefs d’exploitation dû au fort recul des installations », écrivent les auteurs.
Pour ce qui est de la montagne, l’étude évoque un « danger de décrochage structurel, lequel risque d’aggraver le différentiel de productivité et de rémunération du travail ». En termes élégants, cela veut dire que l’agriculture de montagne ou ce qu’il en restera ne sera pas viable. On pourrait appeler ça un arrêt de mort.
En guise de plaidoyer
A l’heure où les éleveurs laitiers, par désespoir, jettent leur lait à l’égout, où les troupeaux se réduisent, où les alpages collectifs sont dans le rouge, il n’est pas inutile de rappeler les atouts que représente l’élevage des herbivores en France. La prairie, le pâturage, outre leur fonction économique (emploi agricole, production alimentaire) et sociale (maintien de la vie sociale en milieu rural, tourisme vert) ont une fonction environnementale essentielle (protection des sols contre l’érosion, prévention des incendies et des risques naturels, stockage de carbone, biodiversité).
Or, en trente ans, les paysages français ont perdu 5 millions d’ha de prairies soit 30% de leur surface, principalement au profit de l’urbanisation et de la forêt.
En Isère, on recense environ 70 000 ha d’alpages lesquels accueillent bon an mal an quelque 115 000 animaux (100 000 moutons, 12 000 bovins, le reste étant des chevaux, des ânes et des chèvres). Et chaque année, ce sont environ 1000 ha de foncier agricole qui disparaissent.
A l’échelle du pays, les prairies permanentes –qui ne sont jamais labourées et représentent environ 8 millions ha- sont les principaux réservoirs de biodiversité, grâce notamment à la présence des troupeaux. En broutant, les animaux créent des hauteurs d’herbe différentes qui sont autant d’habitats variés pour les petits insectes et animaux (voir le livre sur les petites bêtes des Ecrins).
En outre, les prairies bien gérées sont essentielles à l’équilibre écologique des territoires. Ce sont à la fois des filtres naturels et des puits de carbone. L’herbe ainsi que les haies limitent l’érosion et filtrent les eaux qui pourraient être polluées. Grâce à la photosynthèse et à l’accumulation de matière organique dans le sol, les prairies sont considérées comme des puits de carbone aussi importants que les forêts. Elles participent donc à la compensation des gaz à effet de serre émis par l’activité d’élevage ruminant (méthane, notamment).
Pour ce qui est de la fonction économique, on ne peut que souligner la qualité des produits de l’élevage extensif, sur ces prairies. Sur les alpages, les méthodes d’élevage sont parfaitement saines et respectent le bien-être animal. Les troupeaux évoluent en liberté, participent à l’entretien de la montagne sans en modifier l’équilibre naturel. Autant de pratiques qui s’inscrivent dans le développement durable et qui répondent aux attentes des consommateurs et des citoyens.
Arrêtez le pâturage et le paysage se referme, la forêt avance, la friche envahit la prairie, réduit la biodiversité et alimente d’ éventuels incendies.
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Données Institut de l’élevage, IFEN, GEB, CIV, Fédération des alpages de l’Isère
Bravo, je trouve que cet article pose bien le problème actuel des zones de montagne.
En réalité, toutes les régions sont concernées. La montagne sera touchée plus tôt, c’est tout. Il faut le faire savoir car d’autres suivront très vite.
Demandons nous quelle allure aura alors la France à ce moment-là.
Charles Galvin, vice président du Conseil général de l’Isère.